LA FORÊT DU CHEVREUIL À LUNNETTES

Série de 49 images à la gélatine argentique

Pour cette œuvre, contrairement au corpus Les herbes, la présentation des photographies ne tient pas compte de la séquence temporelle dans laquelle les images ont été captées. Elles ont toutes une facture commune issue de leur prise de vue, tandis que leur déchronologie vient brouiller la perception des lieux. En mêlant cette séquence tirée d’une promenade à l’orée d’une forêt, avec celle d’une femme déambulant dans la ville, et celle de tuteurs de bois plantés dans le sol, je provoque un décalage qui suggère l’expérience poétique.

S’inscrivant dans sa production la plus récente et présentée pour la première fois en public au Musée d’art de Joliette, cette murale donne à voir des images extraites d’un même moment, c’est-à-dire une promenade lors d’une journée ensoleillée d’automne. La scène est cependant déconstruite et ne respecte pas nécessairement sa chronologie narrative. De plus, la répétition des mêmes séquences autorise un travail formel plus poussé et confère à cette série un caractère éthéré, presque irréel. Le grain apparent de la pellicule, les contours flous et les forts contrastes clairs obscurs nous portent dans une rêverie. En ce sens, les photos horizontales qui traversent la composition restent mystérieuses et leurs identifications s’effectuent en différés. S’agit-il de vues de la forêt ou de celle d’un fond marin? L’on aperçoit également, dans un agencement vertical des prises de vues en plongé de celui qui film, c’est-à-dire l’artiste. L’appareil dirigé vers le sol a saisi ses jambes, et l’alignement démultiplié des photos recrée le mouvement de la caméra.

Enregistrés avec une caméra à manivelle qui permet de produire de petits films animés de courte durée, l’accrochage et les séquences fonctionnent à la manière d’un montage cinématographique. Cette composition suggère ainsi du mouvement et rappel le processus filmique de l’animation image par image. Si le travail de Yan Giguère était, à ce jour, connu pour se dévoiler à travers la compilation d’images produite sur plusieurs années (Attractions, Choisir et Visites libres), la série La forêt du chevreuil à lunettes habite résolument le moment présent. Elle ne suscite pas tant la mémoire que l’expérience.

Marie-Claude Landry, conservatrice de l’art contemporain

Cette exposition à été présentée au Musée d’art de Joliette en 2016, au Centre d’art Jacques et Michel Auger à Victoriaville en 2018, ainsi qu’à la galerie La Castiglione à Montréal, en 2019.

 

Suite cinétique 2016-2018Les herbes, La forêt du chevreuil à lunettes, Nous trois, Entrelacs et L’éclaircie.

Depuis le milieu des années 2010, je m’applique à capter de courtes séquences avec un appareil bas de gamme qui peut faire de courts films : le Lomokino. Ce petit boîtier, tout en plastique, permet de tourner de courts films animés sur une bobine 35 mm de 36 poses, de format 24 x 36. L’appareil est actionné par une manivelle qu’on tourne pour contrôler la vitesse de déroulement de la pellicule. Cet appareil produit au final 144 petites images sur la bobine de pellicule 36 poses. Au fil de mes expérimentations avec ce boîtier, je me suis rendu compte que la simulation du déroulement du temps se trouve amplifiée par le fait de présenter le résultat sans animation, en pièces détachées.

Le point d’ancrage de chacune des séries de Suite cinétique est la documentation spécifique d’une promenade effectuée dans un lieu circonscrit. Un champ de graminées pour Les herbes, la lisière d’une forêt pour La forêt du chevreuil à lunettes, une futaie de vinaigriers sur le bord d’un lac pour Entrelacs, et une maison abandonnée près d’une pinède pour L’éclaircie. Les séquences sont parfois présentées dans l’ordre temporel de captation (Les herbes) mais, plus souvent, je m’amuse à déconstruire la temporalité des séquences captées, pour les recomposer en les ponctuant d’images issues de contextes de prise de vues différents.

Revue de presse et textes