LES HERBES

Série de 24 images argentiques

Cette série, qui est la première de la Suite cinétique, est en quelque sorte un portrait du vent et du ciel. J’ai volontairement renversé les images à la verticale pour accentuer l’effet de vertige et pour provoquer la perte de repère. J’ai conservé le défilement temporel de la séquence intacte. Les quelques secondes de prise de vues montrées ici alimentent un possible film en continu qui se joue dans la tête du spectateur.

La série la plus récente de Yan Giguère Les herbes se distingue de son travail antérieur à plusieurs égards. Si au cours des années 2000, l’artiste a travaillé sur trois séries majeures se déployant dans le temps long et caractérisées par l’extraordinaire quantité d’images installées en constellation, la série Les herbes adopte un dispositif radicalement opposé. En effet, elle présente une régularité, une simplicité et une unité du point de vue du format des images, de l’accrochage strictement linéaire et horizontal, du sujet du paysage, de la temporalité fugitive et de l’absence de la figure humaine.

Cette œuvre minimaliste et contemplative se présente à première vue comme une séquence de film qui montre un plan de brin d’herbes sur un fond de ciel. La référence au cinéma se confirme dès lors que nous comprenons qu’elle est constituée de 24 images. Cette quantité, une fois animé correspond, dans le 7e, art, à la durée d’une seconde. L’unité de mesure image-seconde nous ramène dans une dynamique spatio-temporel courte et d’une extrême fugacité ancrée dans un présent à peine saisissable, si ce n’est que par le dispositif photographique. De manière remarquable, la référence au cinéma dans cette série, présente un temps qui se recroqueville sur lui-même. Elle nous ramène dans un ici-maintenant n’existant déjà plus. Or, il ne s’agit pas d’une véritable séquence filmique puisque la lecture des originaux devrait s’effectuer à l’horizontal. Les photographies basculées à la verticale ont pour effet de déconstruire la narrativité de la séquence. Ces ruptures temporelles redonnent à chacune des images leur singularité, sans pour autant en soustraire le moment, la durée.

Marie-Claude Landry, conservatrice de l’art contemporain.

Cette exposition à été présentée au Musée d’art de Joliette en 2016, au Centre d’art Jacques et Michel Auger à Victoriaville en 2018, ainsi qu’à la galerie La Castiglione à Montréal, en 2019.

 

Suite cinétique 2016-2018Les herbes, La forêt du chevreuil à lunettes, Nous trois, Entrelacs et L’éclaircie.

Depuis le milieu des années 2010, je m’applique à capter de courtes séquences avec un appareil bas de gamme qui peut faire de courts films : le Lomokino. Ce petit boîtier, tout en plastique, permet de tourner de courts films animés sur une bobine 35 mm de 36 poses, de format 24 x 36. L’appareil est actionné par une manivelle qu’on tourne pour contrôler la vitesse de déroulement de la pellicule. Cet appareil produit au final 144 petites images sur la bobine de pellicule 36 poses. Au fil de mes expérimentations avec ce boîtier, je me suis rendu compte que la simulation du déroulement du temps se trouve amplifiée par le fait de présenter le résultat sans animation, en pièces détachées.

Le point d’ancrage de chacune des séries de Suite cinétique est la documentation spécifique d’une promenade effectuée dans un lieu circonscrit. Un champ de graminées pour Les herbes, la lisière d’une forêt pour La forêt du chevreuil à lunettes, une futaie de vinaigriers sur le bord d’un lac pour Entrelacs, et une maison abandonnée près d’une pinède pour L’éclaircie. Les séquences sont parfois présentées dans l’ordre temporel de captation (Les herbes) mais, plus souvent, je m’amuse à déconstruire la temporalité des séquences captées, pour les recomposer en les ponctuant d’images issues de contextes de prise de vues différents.

Revue de presse et textes