PROJET GRAND-MÈRE, 2020.

Le patrimoine religieux m’a toujours intéressé en ce qu’il a marqué l’histoire et l’évolution du Québec. Même si je suis non-pratiquant, je considère que les lieux de culte, érigés au fil des années, ont leur importance dans le tissu culturel qui nous porte. J’ai toujours aimé entrer dans une église pour en observer l’architecture et l’ornementation, constater le calme qui règne, prendre une pause. À la fin de l’été 2017, on m’a approché pour que je produise une œuvre photographique autour d’une église anglicane désacralisée à Grand-Mère. J’ai accepté cette invitation avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme.

Lors de ma première visite de repérage dans cette ville, j’ai appris que cette église était intimement liée à l’essor industriel qu’a connu Grand-Mère au début du XXe siècle. Dans les faits, le terrain sur lequel on a construit ce bâtiment a été donné à la communauté par la Laurentide Pulp Company. Plus précisément, ce site se trouve dans le quartier qu’on avait conçu à l’époque pour les dirigeants de l’usine de pâtes et papiers qu’exploitait tout près l’entreprise. Le lien qui unit cet édifice à l’évolution industrielle de Grand-Mère m’a d’autant plus intéressé que la quasi-totalité de l’activité associée à la papetière a cessé vers la fin de ce même siècle, ce qui a confronté la municipalité et ses habitants à un grand vide économique et social.

J’ai fait là quatre séjours de prise de vues entre 2017 et 2019. J’ai alors accumulé quantité de clichés afin d’élaborer ce projet. J’ai exploré l’extérieur et l’intérieur du bâtiment ainsi que le coin environnant, un quartier ouvrier qui a maintenant perdu son effervescence. J’ai vite remarqué que l’absence présente dans cette église dépourvue de fidèles faisait écho aux rues dénuées de passants du centre de cette ville, lui-même rempli de commerces fermés, d’établissements désertés et de locaux abandonnés.

La séquence des images que vous pourrez ici observer s’est lentement constituée autour de cette impression que j’avais d’être arrivé dans un lieu après un désastre, ses marques restant invisibles au premier coup d’œil. Divisée en trois sections – La déroute, Le refuge, Le souffle –, cette suite de cent soixante-neuf clichés est une exploration de ce ressenti qui s’est développé au cours de mes déambulations, pendant que passaient les saisons. En sélectionnant et en assemblant ensuite ces photographies prises dans les endroits sondés – l’église, le quartier des alentours, le cimetière, l’usine en démolition –, en tissant ainsi une trame, j’ai tenté de donner une forme à ce sentiment, tenté d’en témoigner avec ce projet.

C’est de cette démarche que la présente œuvre est née. Composée de trois boîtiers et des photographies qu’ils renferment, cette dernière existe en un seul exemplaire.

Toutes les épreuves que vous verrez ou que vous avez regardées dans les présents boîtiers ont été prises au moyen d’une vingtaine d’appareils analogiques datant de diverses époques et d’une quinzaine de pellicules différentes. Les impressions en noir et blanc que contiennent ces coffrets sont des tirages originaux argentiques sur papier baryté de marque Adox MCC110 et les images couleurs, des épreuves imprimées au jet d’encre sur papier Canson Baryta Photographique à partir de numérisations d’instantanés de marques Polaroid et Fuji Instax.

Je tiens à remercier Martin Roberge, Lysianne Legault, Sylvie Trottier, Marie-Claude Bouthillier, Valérie Litalien, Annie Lafleur, Yann Pocreau, Delphine Platten, qui m’ont accompagné durant la réalisation de ce projet.